«Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l'envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l'une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu'elle se mettait à la pétrir. L'officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d'un noir profond.Sans prétendre l'avoir, à la lettre, vu, j'eus du moins la sensation nette, comme si cela se fût déroulé sous mes yeux, du lait blanc et tiède giclant dans le thé dont l'écume verdâtre emplissait la tasse sombre - s'y apaisant bientôt en ne laissant plus traîner à la surface que de petites taches -, de la face tranquille du breuvage troublé par la mousse laiteuse.»
Dans le Japon des années 1930 et 1940, au milieu de désastres sans précédent, Kochan lutte contre ses pulsions. Dans la rue, il est attiré par les matelots et les petits voyous, et à l'école par un camarade de classe dont l'assurance et le charme le subjuguent. Comment être homosexuel dans une société conformiste ? De l'enfance à l'âge adulte, ce jeune bourgeois va se fabriquer un masque social qu'il porte chaque jour aux yeux du monde. Il tente à tout prix de se conformer à ce qu'il croit être la norme du désir. Mais cette comédie de l'hétérosexualité ne saurait le duper éternellement, et pour ne plus trahir son être profond, il devra trouver la force de regarder en face cette attirance qui le consume, et apprendre, enfin, à vivre en paix avec lui-même. Véritable diamant brut, ce premier roman autobiographique de Mishima marque la naissance d'un grand écrivain. À travers un style flamboyant et d'une grande justesse, ce récit torturé questionne la frustration du désir, les vertiges de l'adolescence, la normalité et l'immoralité.
Nouvelles extraites du recueil Pèlerinage aux Trois Montagnes (Folio)
Le coffret en 2 tomes regroupe 35 essais de Mishima sur le théâtre et 4 de ses pièces.
Les essais, une première traduction mondiale, sont consacrés à la tragédie grecque, au théâtre japonais, au théâtre occidental.
Jeunesse, reviens à la vie narre l'histoire d'un groupe d'étudiants confrontés à la réalité de la guerre et à la défaite militaire.
Le Nid de termites se déroule au Brésil dans une plantation de café dirigée par une famille japonaise émigrée et ausculte les relations troubles de cette dernière avec un couple de domestiques.
Le Koto du bonheur évoque le destin d'un jeune policier trahi par un supérieur.L'action de La Terrasse du roi lépreux, se situe à Angkor sous le règne du dernier grand monarque de l'empire khmer. Le roi est atteint par la lèpre tandis que son empire décline.
Un vieil écrivain, Shunsuké, est fasciné par la beauté exceptionnelle de Yûichi, un jeune homosexuel. Shunsuké, dont l'oeuvre est connue, mais déjà achevée, a consacré toute sa vie à l'esprit et à la création. En Yûichi, c'est la liberté du corps, l'esthétique réduite à sa pure apparence physique et à la jouissance immédiate, que le romancier découvre. Yûichi, conscient de sa sexualité, hésite à épouser Yasuko, dont l'écrivain est amoureux. Il se confie au vieillard qui, au terme d'un pacte diabolique, l'incite à se marier. Shunsuké pourra dès lors manipuler le jeune homme comme une marionnette, comme un personnage incarné d'un roman qu'il n'écrira jamais. Sa misogynie déclarée, sa rancoeur à l'égard des femmes qui l'ont fait souffrir durant toute sa vie trouvent ainsi un cruel assouvissement. Mais c'est compter sans l'intervention d'autres manipulateurs et surtout croire qu'il peut lui-même échapper à la séduction de Yûichi. Rédigé entre 1950 et 1953, Les amours interdites décrit avec audace et sincérité l'univers homosexuel du Tôkyô d'après-guerre. Mais c'est surtout le roman où Mishima entreprend d'exposer sans fard sa conception de la sexualité, des rapports familiaux et sociaux, et ses théories esthétiques et philosophiques. À propos des Amours interdites, l'auteur devait écrire : «J'ai formé le projet insolent de transformer mon tempérament en un roman et d'ensevelir le premier dans le second.»
Deux jeunes amants vivent leurs amours surannées au temps où le Japon tente d'assimiler les modes de l'Occident, alors que la Belle Époque jette ses derniers feux.Kiyoaki Matsugae est issu de l'aristocratie née des récentes transformations politiques de l'ère Meiji, et Satoko Ayakura appartient à une antique famille de la noblesse de Cour. Prisonniers des méandres de leur propre personnage, ils vont éprouver une passion intense et vouée à l'échec, connaissant ainsi le drame du déshonneur.
Noboru, garçon de treize ans, surprend les amours de sa mère, une jeune veuve, avec un officier de marine marchande, Ryüji. Noboru fait partie d'une bande de garçons qui se veulent des durs. Ils prennent d'abord le marin pour un héros. Quand ils découvrent qu'il n'est qu'un brave homme, affectueux et honnête, ils décident d'en finir avec lui et commencent à procéder sur un chat à l'horrible sacrifice qu'ils ont décidé d'accomplir...
Dans le «bric-à-brac» de la société japonaise des années 60, les fantômes des ci-devant aristocrates hésitent encore à danser avec les premiers parvenus du miracle économique. Les rues sont pleines de jeunes filles qui n'en sont plus, de petits jeunes gens détestables dévorés de paresseuses ambitions...Comment vivre, lorsque - comme le diamant de trois carats que l'on porte au doigt - on a été taillée dans une autre époque ? La chair, soudain révélée, pourrait-elle faire disparaître ce désert que l'héroïne du roman voit s'étendre aux confins de sa brillante réussite sociale ?
Japon, 1932. Le juge Shigekuni Honda, spécialisé dans le droit criminel, a maintenant trente-huit ans. Il se trouve conduit à reconnaître en Isao la réincarnation de son ami d'enfance Kiyoaki, héros tragique de Neige de printemps. Idéaliste imbu de vertu patriotique, Isao entreprend de restaurer l'esprit samouraï. Il part en croisade contre les corrompus qui, à la tête des trusts et des cartels, fondent leur fortune et leur puissance politique sur le chômage et la misère. Aucune trahison, d'où qu'elle vienne (son propre père, son amie Makiko, les militaires...), n'entame la pureté d'Isao. Il la préservera jusqu'au seppuku - suicide rituel auquel s'est livré lui-même Mishima, et où Malraux voyait un moyen, pour l'homme, de «posséder sa mort».
«- Hatsue ! cria le garçon. - Saute par-dessus le feu. Si tu sautes par-dessus..., dit la fille d'une voix claire et forte. Le garçon n'hésita pas. Le corps nu, que la flamme illuminait, il prit son élan sur la pointe des pieds et bondit au travers du feu. En un clin d'oeil il se trouva droit en face de la fille. Sa poitrine toucha légèrement les seins de Hatsue.»
Troisième volume de la tétralogie «La mer de la fertilité», Le temple de l'aube est la suite chronologique de Neige de printemps et de Chevaux échappés.
À l'évocation du Japon ancestral dans le premier roman, puis, dans le deuxième, des agitations politico-militaires de l'entre-deux-guerres, succède ici la peinture de la société nouvelle qu'engendre la défaite, suivie de l'occupation américaine.
Le lecteur retrouve les personnages familiers de cette saga japonaise dont le fil conducteur reste le souvenir de Kiyoaki, mort d'amour à la fleur de l'âge, et d'Isao, le jeune conspirateur fanatique, réincarnés en l'énigmatique et voluptueuse princesse siamoise Ying Chan.
Devenu personnage principal, un Honda enrichi et vieillissant poursuit ses étranges pérégrinations, tant réelles qu'imaginaires.
Yukio Mishima excelle à décrire la complexité des esprits et des moeurs, à mettre en scène les décors éblouissants des tropiques, à évoquer l'aspect monstrueux des mégapoles de l'après-guerre.
Reiko " n'entend plus la musique ", autrement dit, elle est incapable d'éprouver du plaisir sexuel.
Le docteur shiomi nous conte son histoire et nous entraîne, avec une joie non dissimulée, dans les chausse-trapes de l'univers mental de la jeune mythomane. de mensonges en coups de théâtre, dans une perspective en trompe l'oeil où les situations les plus tragiques sont passées au filtre d'une subtile ironie, l'écrivain nous mène par le bout du nez, comme le fait reiko avec son trop crédule analyste.
Au dénouement, à l'instant où, la vérité s'étant dévoilée, l'on va refermer le livre, on aura aussi découvert un autre masque de mishima : celui de l'écrivain capable de rire - surtout de ses propres obsessions - et de divertir son lecteur avec des sujets graves, et qui pour ce faire n'hésite pas à recourir à un suspense de roman policier et à un ton parodique jusque-là absent de son oeuvre.
Le soleil et l'acier est la seule confidence que nous ait laissée Yukio Mishima sur sa formation:comment il a découvert, tardivement, la vie du corps, et par elle une vie nouvelle de l'esprit. Il établit une étrange opposition entre le pouvoir corrosif du langage et le pouvoir constructif du soleil et de l'acier. En même temps, c'est pour offrir à la mort, bien suprême et suprême tentation, un objet digne d'elle qu'il s'astreint à l'ascèse d'un entraînement physique. Cette démarche essentiellement romantique n'a rien à voir avec le principe grec d'une âme saine dans un corps sain, mais débouche sur le suicide rituel, qui fut en effet accompli par Mishima, en public, en novembre 1970.Le soleil et l'acier constitue un testament spirituel qui éclaire d'un jour insolite toute l'oeuvre du grand écrivain japonais.
Voici que s'achève, avec ce volume, le cycle de quatre romans «La mer de la fertilité», l'oeuvre maîtresse où, avant de se donner la mort, Yukio Mishima confiait avoir voulu mettre «tout ce qu'il avait à dire».Écrit durant les mois où l'auteur s'attachait à régler le détail de son seppuku (le suicide rituel), on trouve ici rassemblés les thèmes majeurs qui ont fourni sa trame à la tétralogie:sens et déclin des idéaux chevaleresques du Japon des samouraïs, l'être et la conscience dans la spéculation bouddhiste, la beauté absolue, accessible seulement à travers la mort.Mais, en croyant reconnaître chez Toru, l'adolescent qu'il adopte au seuil des années soixante, la réincarnation de Kiyoaki, Isao et Ying Chan, Honda ne s'est-il pas trompé? Un ultime épisode nous le montre, accablé de vieillesse et de souci, allant enfin revoir, dans son monastère, pour l'interroger, celle qui fut jadis l'héroïne de Neige de printemps aux côtés de Kiyoaki.À chacun de découvrir, sous les réponses de l'abbesse, l'explication dernière des existences individuelles, dont les péripéties alléguées s'écoulent tandis que la paix des midis rayonnants s'épand sur le jardin.
Les sept nouvelles de Mishima rassemblées ici ont été publiées entre 1946 et 1965. Tout ouvrant une large période de la création littéraire de l'auteur, elles présentent cependant une étonnante unité autour du thème de l'amour.Si la description de l'éveil d'un jeune garçon à la beauté de la nature et à l'amour dans un paysage magique de bord de mer nous frappe par son romantisme exalté - «Une histoire sur un promontoire» est écrite alors que l'auteur n'a pas encore vingt ans -, nous retrouvons dans «Une matinée d'amour pur» - récit d'un couple vieillissant qui cherche à entretenir son amour par des jeux érotiques pervers - le cynisme parfois très noir et l'interrogation sur la sexualité qui caractérisent toute l'oeuvre de Mishima. Ces deux nouvelles encadrent cinq autres textes où ces mêmes thèmes apparaissent dans des récits toujours très maîtrisés.Le présent recueil donne donc un éclairage original de l'oeuvre de Mishima et constitue un complément indispensable pour tout lecteur français qui s'intéresse au grand romancier japonais.
Ces dix nouvelles reflètent à la fois la diversité des talents de Mishima - art du détail comme du développement thématique, art de la description comme de l'ellipse - et la diversité des univers qu'il pénètre. Les hommes d'affaires et leurs épouses, les geishas, les gens du peuple, les acteurs du kabuki, le vieux prêtre du temple de Shiga et les soldats finissent par composer un Japon moderne en butte à ses traditions séculaires. Et tout est là : l'amour vénal, l'amour sublime et sacrilège ; la perversion des femmes et du monde de l'argent ; les superstitions et le sens du sacré ; la mort. La mort accidentelle des enfants. Celle, attendue, d'un vieillard. La mort rituelle, choisie pour l'honneur - ce seppuku que Mishima a exécuté sur lui-même.
«Je propose une vie à vendre. À utiliser à votre guise. Homme, 27 ans. Confidentialité garantie. Aucune complication à craindre.» Lorsque Hanio Yamada rate son suicide, il décide de mettre sa vie en vente au plus offrant dans un journal local de Tôkyô. Le premier acheteur ne se fait pas attendre et entraîne ce héros involontaire dans une course folle au coeur d'un monde de gangsters sanguinaires, d'espions et de contre-espions, de potions hallucinatoires, de femme-vampire, de carottes empoisonnées, de junkie désespérée et d'explosif artisanal. Alors que les cadavres se multiplient autour de Hanio, celui-ci demeure miraculeusement vivant et se demande comment enrayer cette machine infernale. La vie aurait-elle finalement une valeur à ses yeux, et serait-il enfin prêt à en payer le prix ? Dans cette parodie jubilatoire de roman policier, Yukio Mishima subvertit également les codes de l'espionnage et dévoile une facette méconnue de sa personnalité d'écrivain. «Roman d'aventures psychédélique» et méditation cynique et saisissante sur la mort et la morale, Vie à vendre révèle la maîtrise exceptionnelle d'une écriture capable de faire accepter toutes les invraisemblances. Un coup de maître littéraire resté jusqu'à ce jour inédit en France.
Extraordinaire interprète de l'opéra de Puccini Madame Butterfly, la cantatrice Tamaki Miura donne ce soir un dernier récital bouleversant. Parmi les spectateurs, Kiyohara se remémore un autre récital, vingt ans plus tôt, à la Scala, auquel il assista avec la jeune Hanako. Dans ces deux nouvelles sobres et émouvantes, le grand romancier japonais explore différentes facettes de l'amour et de ses tourments.
Nouvelles extraites de La mort en été (Folio n°1948)
Kazu, propriétaire d'un grand restaurant de Tokyo, a gardé, malgré la cinquantaine, une grande beauté. Sa clientèle se compose des personnalités les plus variées. À l'occasion d'un banquet, Kazu fait la connaissance d'un ancien ministre, Noguchi. Elle, qui se croyait à l'abri des aventures amoureuses, finit par l'épouser. Mais, entre l'intellectuel idéaliste et la femme d'affaires, pratique et indépendante, la vie conjugale va faire apparaître d'insolubles conflits.
Un jour de novembre 1970, Yukio Mishima, à peine âgé de quarante-cinq ans, se donnait la mort selon le rituel samouraï au quartier général des forces japonaises. Ce geste, qui bouleversa les Japonais et étonna le monde entier, donnait toute sa portée tragique à une existence qui s'était voulue résolument «anachronique».
Trois ans plus tôt, Mishima avait livré l'une des clefs essentielles à la compréhension de ses choix de vie en publiant un essai consacré au Hagakuré, ouvrage composé au XVIIIe siècle par un samouraï retiré du monde pour méditer sur la «Voie du samouraï». Le Hagakuré, livre maudit du Japon de l'après-guerre, est pour Mishima l'oeuvre qui a donné un sens à sa vie, et son auteur, Jocho Yamamoto, est une sorte de frère d'armes spirituel. À plus de deux siècles de distance, ce qui unit ces deux esprits, c'est d'abord une philosophie de la vie comme déploiement de l'énergie intime de l'individu et, plus encore peut-être, une philosophie de la mort : «La Voie du samouraï, c'est la mort.» Mais c'est aussi et surtout une commune protestation contre leur époque.
Ce livre fait entendre par-delà l'histoire deux voix profondément pessimistes qui exaltent avec la même ardeur désespérée «l'utopie» éthique des samouraïs.
La jeune veuve Etsuko est amoureuse d'un domestique de la maison de son beau-père Yakichi, chez qui elle vit. Ses beaux-frères, belles-soeurs et leurs enfants vivent sous le toit de l'ancêtre, qui est devenu l'amant d'Etsuko.Une nuit, Etsuko donne rendrez-vous au garçon qu'elle désire. Comprenant enfin ce qu'elle veut, il se jette sur elle. Elle perd connaissance. Quand elle revient à elle, il s'enfuit. Elle le poursuit, le rattrape, le frappe d'un coup de houe et le tue - Yakichi était là.Roman d'une grande force sournoise, obscure et nerveuse, cette oeuvre est une peinture d'une passion bridée par un milieu, mais qui finit par tout consumer.
Dans le Japon des années 1930 et 1940, au milieu de désastres sans précédent, Kochan lutte contre ses pulsions. À l'école, la fascination qu'il éprouve pour un jeune camarade se mue en attirance sexuelle. Comment être homosexuel dans une société conformiste ? Kochan devra-t-il renoncer à lui-même et porter un masque toute sa vie ? Dans ce roman d'inspiration autobiographique, Mishima nous offre un récit torturé sur la frustration du désir.
«L'adolescence est un état qui devrait se poursuivre éternellement, et, d'ailleurs, en réalité, n'existe-t-elle pas toujours en nous ? Or, si c'est bien le cas, pourquoi parvenons-nous à la mépriser à ce point ?» Cette interrogation du héros de «La cigarette», oeuvre de jeunesse, parcourt chaque page de ces nouvelles écrites de 1946 à 1965.L'adolescence, son intransigeance, sa soif d'idéal et de pureté, sa hâte. L'adolescence qui est l'art même, enfin, et, à ce titre, aussi souvent bafouée que lui dans la société des adultes, la société des «moutons», de ceux qui, indifférents, passent habilement au travers des souffrances et des passions.